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Zoom ACODLAK: Sherley Dégravier

Dans cet entretien accordé à Zoom ACODLAK, Sherley Degravier, jeune Capoise de 19 ans, revient sur son parcours marqué par la migration familiale, la perte de sa mère, et son intégration à Port-au-Prince. Entre défis personnels, passion pour la danse et volonté de réussir, elle partage avec authenticité son expérience, son amour pour la Kizomba, et ses aspirations académiques.

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Brièvement, que doit-on savoir de toi, Sherley?

Je suis Sherley Degravier. J’ai 19 ans. Je suis native du Cap Haitien. Je n’ai pas encore terminé mes études classiques ; je suis en NS3. Je suis la fille de Angeline Saint Juste et Jacques Degravier.

Je suis rentrée à Port-au-Prince, il y a onze ans. J'étais avec ma mère et ma grande sœur. Après la mort de ma maman, je ne vis plus avec ma grande sœur. Pour l’instant, je vis avec une cousine. Nous ne sommes que deux à la maison.

Qu’est ce qui explique que tu ne vis plus avec ta maman ?

Je suis orpheline de mere. Ma mère est morte en 2022. En avril 2022. Elle fut malade. Après plus temps d’hospitalisation à l’hopital, elle n’arriva pas à survivre. Elle passa environ un an et deux mois à l’hopital, ella nous a finalement quitté en 2022.

Quant à ma grande sœur, après mort de ma maman, elle était retournée au Cap Haitien.

Tu vis avec ta cousine, comme mentionné préalablement, est-ce elle qui t’aide à subvenir à tes besoins ?

Bonnn oui. Un peu.

Tu dis un peu, qu’est-ce que tu veux insinuer ? Qu’en est-il de ton papa?

C’est un peu compliqué ; je préfère ne pas en parler.

Comment tu arrives à subvenir à tes besoins pendant que tu es à Port-au-Prince ?

Grâce à mon petit commerce occasionnel, j’arrive à couvrir certains de mes besoins. Il y a aussi ma grande sœur qui me soutient. En ce moment, elle habite en Plaine. Et j’ai aussi un oncle qui m’aide avec un soutien plus important.

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Qu’est ce qui a occasionné votre rentrée (ta sœur, ta maman et toi) à Port-au-Prince ?

Il n’y a pas eu une raison précise, à ce que je sache. À cause des mésententes entre mon papa et ma maman, on vivait tantôt à Port-au-Prince, tantôt au Cap-Haïtien. Après leur séparation définitive, nous sommes restées vivre avec notre papa.

Mais à un certain moment, ma maman est venue nous chercher. Elle disait qu’un homme ne pouvait pas bien élever des fillettes. C’est à ce moment-là qu’elle nous a emmenées à Port-au-Prince.

Je suis rentrée à Port-au-Prince, j’avais, si ma mémoire est bonne, 10 ou 11 ans. À l’époque, j’étais en cinquième année fondamentale. Normalement, j’aurais déjà dû terminer mes études classiques. Je devrais être à l’université aujourd’hui.

J’ai du retard à l’école à cause de la séparation de mes parents. L’instabilité dans leur relation a beaucoup impacté notre scolarité. Parfois, on commençait une année scolaire et on ne la terminait pas. Quand ce n’était pas ma mère qui venait nous chercher chez mon père, c’était lui qui nous réclamait.

C’était la réalité de ma grande sœur et moi. Tu sais, en général, quand il y a des problèmes entre les parents, ce sont toujours les enfants qui en souffrent.

Maintenant, quand tu es rentrée à Port-au-Prince, avec toute la culture septentrionale que nous connaissons tous et toutes, qui est dominée notamment par une façon particulière de parler, comment a été ton intégration et ton adaptation ?

Ce n’était pas trop difficile. Je m’habitue vite à l’environnement dans lequel je me trouve. Quand j’avais commencé, j’étais obligée de m’adapter à tout ce qui se présentait.

Je dirais que, euh… pour ce qui est de la façon de parler propre aux Capois.es _qui étonne et fait souvent rire les Port-au-Princien.ne.s heureusement, la maison où je vivais n’avait pas beaucoup d’enfants avec qui jouer, donc il n’y avait pas vraiment de risque d’être intimidée. J’étais d’ailleurs la plus petite à habiter la maison.

Mais avant de m’installer définitivement à Port-au-Prince, j’avais déjà l’habitude d’y venir. J’avais même commencé à imiter l’accent port-au-princien, même si ce n’était pas encore complètement.

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En septembre tu es rentrée à l’école. Il y a des enfants qui te regardent et qui t’ecoutent parler. Comment a été l’ambiance à l’école à ta première arrivée, avec ton accent capois ?

Normalement, je n’ai jamais été timide à l’école. Je parlais tout le temps. Quand ils se moquaient de ma façon de parler, je m’en fichais.

Très souvent, ils riaient. Ils riaient sans arrêt. Mais je ne me sentais pas trop intimidée, parce qu’à la maison, on me disait que ce n’était pas de moi qu’ils se moquaient, mais plutôt de ma façon de parler, qu’ils trouvaient différente et qu’ils aimaient bien. J’ai toujours gardé cela en tête.

Mais parfois, quand je parle avec quelqu’un à l’école, il me dit qu’il ne me comprend pas. Alors, je dois répéter plusieurs fois ce que je veux dire pour qu’il comprenne. Et parfois, ils répètent ce que j’ai dit, mais en l’imitant d’une façon un peu moqueuse.

Est-ce que tu étais consciente de cette différence au point de te dire que tu voulais parler comme eux, et que tu allais faire des efforts pour y arriver, juste pour éviter qu’ils continuent à se moquer de ta façon de parler ?

Bon… je peux dire non. Je ne me rappelle pas trop. Sinon, ma maman me disait toujours de ne pas m’inquiéter de ceux et celles qui riaient de moi ou qui me questionnaient sur ma façon de parler. Elle me disait que, dans peu de temps, je pourrais même oublier la façon de parler des Capois, parce que j’allais finir par parler comme eux sans m’en rendre compte. Elle me disait aussi d’être patiente, de ne pas me presser pour parler comme eux.

Ce qui me rendait mal à l’aise, c’était le comportement de certains professeurs. Ils trouvaient ma façon de parler un peu bizarre. Quand je posais une question ou que je demandais quelque chose, ils me faisaient répéter plusieurs fois, jusqu’à ce que mes camarades leur disent que je suis Capoise, que c’est juste mon accent.

Ça m’avait beaucoup dérangée. Parfois, j’avais même peur de poser des questions quand je ne comprenais pas quelque chose.

A quel moment tu allais te rendre compte que tu ne parles plus comme les capois et que tu te rapproches finalement du mode de parler des port-au-princiens ?

Je me suis rendu compte que je ne parle plus comme les gens du cap, c’est pendant que je parlais avec ma grand-mère au téléphone. Généralement, au Cap, quand tu parles comme les gens de Port-au-Prince, on dit que tu parles «brodé ». J’ai dit à ma maman, semble-t-il que j’ai fini par parler « brodé ». Elle m’a répondu, pourquoi ? Je lui ai expliqué que je ne comprenais pas la façon dont ma grand-mère me parle. Elle sonne un peu bizarre. A ma maman de répondre, je ne vois que tu ne parles plus comme avant. Donc, voilà !

Je me rappelle une fois, je parlais à ma grand-mère, et elle m’a dit : « Rete kounya la se brode w pale kounya a ». J’ai répondu : « ebyen grann kijan pou m pale avè w ». Elle a retorqué : « ò ò ò, rete ! kiyès ki «vè w» la  ? Se mwen ki «vè w» la ? Gade ranje bouch aw pou w pale ake m tande... ». Normalement, je devais dire : « kòman pou m pale ake w ? », je ne devais pas dire « avè w ».

Cependant, je ne vais dire que j’oublie le mode de parler capois. Je n’ai rien n’oublié. Quand je parle avec les gens de Port-au-Prince, j’utilise l’accent port-au-princien. Quand je suis au cap haïtien, je reprends mon accent capois. Tu vas être étonné de m’entendre. C’est vraiment différent de la façon dont je te parle maintenant.

Maintenant au carrefour de ces deux accents, est-ce que tu as une préférence ?

Non, je n’ai aucune préférence. J’aime mon accent capois, et j’aime aussi l’accent « brodé » des Port-au-Princiens. Cependant, je me sens plus libre quand je parle avec mon accent capois. Je ne fais aucun effort pour me faire comprendre.

Par contre, quand je parle avec un Port-au-Princien, c’est comme si je faisais des ajustements. Comme si c’était à moi de faire l’effort pour que l’autre me comprenne, alors que lui ne fait pas le même effort. Je me sens privée de ma liberté.

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Comment tu as intégré la danse dans ses entre faits ?

D’abord, j’étais à une école qui s’appelait « Full Dance », au Cap-Haïtien. Cette école ne fonctionne plus aujourd’hui. Elle enseignait surtout la danse folklorique. Je l’ai intégrée alors que j’avais six (6) ans. J’y ai passé environ deux (2) ans. J’ai dû arrêter parce que mon père ne voulait pas que ma grande sœur et moi continuions à danser. Mais j’ai toujours aimé la danse.

Ensuite, c’est ma mère qui a commencé à nous montrer quelques pas de base en salsa et en bachata. Mais elle ne voulait pas nous envoyer à une école de danse.

Pendant que j’étais à Harry’s _un espace que j’aimais frequenter à cause des jeux PlayStation _ j’ai découvert l’école FSD, qui se trouvait à cet endroit à l’époque. Un jour, pendant que j’y étais, j’ai entendu de la musique salsa. Je me suis rapprochée et j’ai vu un groupe de jeunes qui dansaient. J’ai été fascinée par leur façon de danser.

J’ai alors commencé à venir assister aux pratiques de FSD, juste pour regarder. Un jour, j’ai appris qu’ils allaient organiser une activité appelée « Ou ka danse ». J’y ai participé, aux deux éditions. C’est ainsi que je me suis inscrite à cette école.

Pendant que tu fréquentais les pratiques de danses et avant que de t’inscrire à FSD quelle a été ta première impression de quelqu’un qui danse, particulièrement les danses latines ?

En fait, au niveau de l’exécution de la danse, je me demandais, en regardant les gens danser, est-ce qu’il ne s’agit pas d’une chorégraphie déjà répétée entre les couples ou, plusieurs personnes qui maitrisent une chorégraphie qui l’exécutent en même temps sur la piste. D`où je disais que je dois apprendre plusieurs chorégraphies pour que je puisse les exécuter aussi sur la piste.

Au niveau du rapport entre les partenaires, je pensais qu’ils étaient en couple. Du coup, je pensais qu’il fallait forcément avoir une relation avec son partenaire pour pouvoir danser avec lui. C’est plus tard, après avoir posé la question à des coachs, qu’ils m’ont expliqué que non. Tu n’es pas obligée d’être la petite amie de quelqu’un pour danser avec lui. Tu es libre de choisir la personne avec qui tu veux danser.

Cela voudrait-il dire que tu étais prête à avoir une relation sentimentale avec quelqu’un qui te servira de partenaire, si c’était le cas ?

Rires. Oh non ! J’ai seulement demandé l’information pour m’assurer si c’était vrai ou pas. Je voulais juste danser. Je n’étais pas en train de chercher un petit ami.

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Quand tu es rentrée à FSD, y a t-il une danse spécifique que tu voulais apprendre ? Si oui, laquelle ?

Oui, la Bachata et la Kizomba. Avec le temps, j’ai aussi commencé à développer un amour particulier pour la Salsa et la Rumba. Mais la danse que j’aime le plus, c’est la Kizomba. Ensuite vient la Bachata, puis la Salsa. Ce sont ces trois danses que je maîtrise le mieux d’ailleurs.

Quelles ont été les difficultés que tu as rencontrées au cours de ton apprentissage ?

Je n’ai pas vraiment rencontré de difficultés. Beaucoup de personnes m’ont proposé leur aide. Comme je voulais m’améliorer, j’ai accepté. On m’a offert des séances de coaching privé. Je les contactais souvent. À l’époque, j’avais des répétitions presque tous les jours. Normalement, quand je veux quelque chose, je m’y attelle sérieusement. Je m’y lance avec ambition.

En plus, je voulais quitter la classe 1 pour passer en classe 2. Les filles de la classe 2 me faisaient envie par leur façon de danser. Heureusement, après l’examen, j’ai été lauréate de la classe 1.

Tu avais un modèle de danseuse qui t’a inspiré au cours de ton apprentissage ?

Oui. Il y a une danseuse qui s’appelle Sophia Abraham à FSD. J’adore la voir danser. Je lui avais demandé plusieurs fois de me coacher. En plus, j’aimais regarder des danseuses internationales

Tu as déjà eu une déception au cours de tes expériences dans la danse ?

Euh oui. Une fois, pendant une session de pratique à FSD, j’ai vu un monsieur assis à l’arrière. Je me suis levée pour l’inviter sur la piste. Il a refusé en disant qu’il n’était pas venu pour danser. Je suis donc retournée à ma place. Quelques minutes plus tard, j’ai été étonnée de le voir sur la piste

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Autre que la danse, qu’est-ce que tu fais dans la vie ?

Je suis encore à l’école, comme je l’ai déjà dit. J’apprends le macramé (je fais du crochet). Je fais aussi de la manucure et de la pédicure. En plus, je fais du business. C’est pour moi une source importante de revenu.

Après avoir terminé tes études, qu’est-ce que tu comptes apprendre ?

Avant, j’aimais les sciences juridiques parce que je voulais être avocate. Mais avec le temps, j’ai changé d’avis. Pour l’instant, j’ai en tête d’étudier les sciences comptables. Il y a trois raisons qui l’expliquent. Premièrement, je les aime. Deuxièmement, elles ne prennent pas beaucoup de temps. Et troisièmement, c’est pour faire plaisir à ma mère, qui voulait que ma grande sœur les étudie. Mais malheureusement, elle ne le voulait pas. J’avais promis à ma mère de les apprendre si je n’étudie pas les sciences juridiques.

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Je remercie ACODLAK pour l'entrevue. Ca a été un grand plaisir pour moi d'être l'une des participantes à Zoom ACODLAK. Merci infiniment!